Capucine Ackou, orthophoniste et Hugo Testaert, médecin pneumologue
Quels sont les besoins en matière de troubles du langage en France ?
On estime que, au cours de sa croissance, un enfant sur cinq va développer des difficultés d’apprentissage. Un orthophoniste, qui est un spécialiste des troubles du langage et de la communication, est en mesure d’établir un bilan, et de déceler éventuellement une pathologie – dyslexie, dysorthographie, dyscalculie… – justifiant la mise en place de séances d’orthophonie. En France, 5 à 10 % des enfants sont atteints d’un trouble « dys » et ont besoin d’une prise en charge adaptée. Malheureusement, le temps d’attente pour consulter un orthophoniste est devenu très long : il est en moyenne de 12 à 18 mois, rien que pour un bilan. Si bien que 90 % des orthophonistes ne prennent plus de nouveaux enfants comme patients.
Comment expliquer cette situation ?
Ces dernières années, les demandes de prise en charge pour des troubles des apprentissages ont augmenté chez l’enfant, en raison notamment de l’exposition aux écrans mais aussi d’une meilleure connaissance de ces troubles. Par ailleurs, les adultes atteints de maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer, font désormais appel aux orthophonistes, ce qui était moins le cas avant. Tous ces facteurs font que la demande est aujourd’hui beaucoup plus forte, alors que le nombre de professionnels, lui, évolue peu. Nous avons vécu cette situation partout où nous avons exercé nos métiers de soignants, en France métropolitaine et en Outre-Mer. Face à cela, mon épouse orthophoniste et moi-même, qui suis pneumologue, avons eu envie d’apporter une solution. C’est l’ambition de Logopouce, que nous avons fondé en 2022.
Que propose Logopouce dans l’attente du premier rendez-vous chez l’orthophoniste ?
L’objectif est d’aider les parents à faire progresser leur enfant durant cette période. Pour cela, nous mettons à leur disposition des vidéos pédagogiques, conçues comme des boîtes à outils. Avec actuellement 850 vidéos, consultables sur ordinateur, tablette ou smartphone, les sujets abordés sur la plateforme sont extrêmement variés.
Cela va, par exemple, de « comment se mettre à la hauteur de l’enfant », à « comment lui expliquer les dizaines, les centaines et les milliers », « comment le coucher sereinement », « comment l’installer correctement pour faire ses devoirs », etc.
Le but n’est pas de faire des parents des orthophonistes, mais de leur présenter ce qu’ils peuvent mettre en place facilement, dans le cadre d’un programme personnalisé.
Comment se fait la personnalisation du programme ?
Pour commencer, nous demandons aux parents de remplir un questionnaire, puis nous échangeons avec eux par téléphone ou en visio, afin de mieux cerner les difficultés. À partir de là, nous établissons un programme, composé de plusieurs vidéos (une quinzaine en moyenne). Au bout d’un moment, nous faisons un point avec les parents et faisons évoluer le programme si besoin. Plus de 450 familles ont déjà fait appel à Logopouce dans le cadre d’un abonnement mensuel, sans engagement de durée. En moyenne, notre accompagnement dure 4-5 mois. Il ressort de deux études que nos programmes permettent aux parents de se sentir plus en confiance. C’est fondamental, car plus un parent a confiance en lui, plus il se sentira capable d’aider son enfant, et meilleur il sera dans l’accompagnement.
Et que propose Logopouce lorsque l’enfant suit déjà des séances d’orthophonie ?
Là, c’est aux orthophonistes que nous nous adressons. Dans le cadre d’une licence annuelle d’utilisation, ils ont la possibilité de partager nos vidéos avec les parents dont ils suivent l’enfant. Les orthophonistes peuvent ainsi leur demander de regarder une ou plusieurs vidéos en complément du travail en séance pour faire progresser l’enfant à la maison.
Quels sont les retours des utilisateurs ?
Ils sont très bons. Les parents nous disent qu’ils prennent conscience de tout ce qu’ils peuvent faire en amont du premier rendez-vous chez l’orthophoniste, plutôt que d’attendre passivement. Cela leur permet de prendre confiance en eux sans se sentir dévalorisés. Quant aux orthophonistes, ils considèrent notre solution comme un moyen efficace d’impliquer les parents dans la prise en charge de leur enfant. D’ailleurs, ce sont eux qui sont venus nous voir pour intégrer nos vidéos dans leur pratique.
Comment créez-vous vos contenus ?
L’équipe de Logopouce est composée de cinq personnes, dont moi et mon épouse. Nous nous sommes formés aux techniques de l’audiovisuel, ce qui nous permet de réaliser nous-mêmes nos vidéos. Pour les contenus, nous travaillons en permanence avec une dizaine d’orthophonistes, qui nous font des propositions de sujets et nous aident à écrire les scripts.
D’où vient le nom Logopouce ?
Ce nom est un clin d’œil à la Belgique, où mon épouse a fait ses études. Là-bas, les orthophonistes sont appelés « logopèdes », en référence au terme « logos » qui veut dire « parole » en grec. C’est aussi un clin d’œil à l’autostop : placés sur liste d’attente pour consulter un orthophoniste, les parents sont un peu comme des autostoppeurs qui lèvent le pouce. Avec Logopouce, nous leur proposons de faire un bout de chemin ensemble pour leur montrer ce qu’ils peuvent faire.
Vous avez rejoint récemment plusieurs incubateurs de startups. Qu’est-ce que cela vous apporte ?
Nous sommes effectivement accompagnés par EuraTechnologies, Eurasanté et Prevent2care Lab. Leur objectif est de nous conseiller sur les problématiques entrepreneuriales, de nous aider à nous structurer, et de nous mettre en relation avec des partenaires susceptibles de nous faire avancer. Nous sommes également membres des acteurs de la french care, dont nous avons remporté le concours 2023 de la santé à domicile.
Quelles sont les prochaines étapes pour Logopouce ?
Notre souhait est de nouer des partenariats avec des acteurs de la santé, qui pourraient prendre en charge une partie de la solution et ainsi proposer un service aux familles. Nous avons aussi pour ambition de diffuser le plus largement possible notre solution auprès des orthophonistes. Enfin nous cherchons des partenaires financiers pour nous aider à grandir et à porter le projet Logopouce !
L’orthophonie en quelques chiffres
Selon la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), il y avait en 2019 :
- • 25 607 orthophonistes en France, dont 779 dans les départements et régions d’outre-mer (DROM)
- • 96,8 % des orthophonistes sont des femmes
- • Les orthophonistes représentent 4 % des professionnels de santé
- • 38,2 orthophonistes pour 100 000 habitants
- • Le taux de croissance des effectifs est de 4 % par an
Retrouvez tous les épisodes de notre série « Les jeunes ont du talent »
ÉPISODE 1
Les Culottées : quand la restauration favorise l’insertion professionnelle
Lire l’article
ÉPISODE 2
Le Fourgon : une nouvelle jeunesse pour la consigne
Lire l’article
ÉPISODE 3
Avec Take a waste, les entreprises optimisent la gestion de leurs déchets
Lire l’article
ÉPISODE 5
Avec Omedom, les propriétaires y voient enfin clair
Lire l’article
Vous aussi, racontez-nous votre engagement
Vous êtes adhérent AMPHITÉA, vous êtes ou avez dans votre famille ou dans votre entourage des personnes qui s’engagent pour un monde meilleur, soit dans le cadre de son travail, soit dans une association, soit à titre personnel ?
Venez en parler dans notre rubrique « Nos jeunes ont du talent ».
Ce témoignage pourra, peut-être, faire naître d’autres vocations…
• Pour prendre contact