Avant d’évoquer les conséquences de la baisse des taux d’intérêt sur les fonds en euros des contrats d’assurance vie, pouvons-nous rappeler les causes et le mécanisme de cette baisse ?
Philippe Brossard, Chef économiste de la Direction des investissements au sein du groupe AG2R LA MONDIALE
Philippe Brossard : Nous parlons là des taux directeurs à court terme, qui sont fixés de manière discrétionnaire par les banques centrales – Banque Centrale Européenne (BCE) en Europe, Réserve Fédérale aux USA… – pour réguler l’activité économique.
Depuis plusieurs années, pour favoriser la croissance en Europe et éviter le risque de déflation la BCE essaye, sans y parvenir, d’obtenir une inflation autour de 2%. Ses taux sont devenus négatifs (- 0,20%, puis – 0,40% et enfin – 0,50 % cet été).
Ces taux directeurs vont ensuite influencer le taux des SICAV de trésorerie ou le taux des dépôts dans les banques, et les taux d’emprunt. Leur baisse doit décourager l’épargne à court terme, encourager l’investissement et l’emprunt incitant les banques à prêter plus pour relancer l’économie.
Pour une banque, déposer ses réserves à la BCE coûte donc de l’argent ?
P. B. : Exactement. Les banques qui ont des excédents de trésorerie doivent les déposer à la BCE à un taux négatif de -0.50%. Elles cherchent donc chaque jour à les prêter, ne serait-ce qu’à -0,49%…
Autre conséquence de cette baisse des taux, quand l’État français emprunte aujourd’hui, il gagne de l’argent…
Et ça marche ?
P. B. : Plutôt bien, oui. Les marchés obligataires ont vu leurs taux à long terme baisser en dessous de zéro. Les emprunts d’État français à 10 ans par exemple ne servent plus de coupon et valent à l’émission 101, alors qu’ils seront remboursés 100. Qui aurait imaginé qu’on en viendrait là ?
Ce phénomène de baisse des taux est-il temporaire ou est-il appelé à durer ?
P. B. : C’est du temporaire qui dure ! Les taux doivent refléter l’état de santé de l’économie et la BCE l’a dit très explicitement : tant que l’inflation ne sera pas revenue à 2%, elle maintiendra ses taux négatifs. Or l’inflation stagne autour de 1% et la croissance est médiocre.
Quel est l’impact sur les assureurs ?
P. B. : En procurant un bon rendement, tout en garantissant à 100% un capital investi récupérable à tout moment, l’assurance vie a fait vivre aux Français un petit miracle ces dernières décennies. On a un peu transformé le plomb en or, et sans tromperie !
Depuis le début des années 80, les taux d’intérêt n’ont cessé de descendre, passant d’environ 20% à 0% aujourd’hui. Cette baisse continue des taux a généré des plus-values importantes sur les portefeuilles obligataires. Les assureurs ont ainsi constitué de grosses réserves, permettant de servir de belles rémunérations à leurs clients.
Mais cette constitution chronique, durable, de plus-values est terminée. Les taux d’intérêt sans risque à long terme étant devenus négatifs sur les marchés obligataires, les taux confortables de participation bénéficiaire de ces dernières années ne sont désormais plus possibles. À moins que les assureurs ne dilapident leurs réserves, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. En résumé, le rendement associé à l’assurance vie composée de fonds euro classiques est appelé à baisser inexorablement.
Cela appelle-t-il des mesures correctives brutales ? On pense notamment aux annonces faites par certains assureurs, comme Générali ou Allianz, qui ont quasiment programmé la fin de leurs contrats en fonds euro…
P. B. : Les assureurs peuvent distribuer des rendements légèrement positifs pendant quelque temps encore, du fait notamment qu’ils gèrent un stock d’obligations anciennes. Mais avec un souci d’équité : il n’est plus envisageable de faire bénéficier massivement de nouveaux venus des rendements historiques liés aux assurés qui ont épargné depuis longtemps.
Les assureurs pourraient, en théorie, envisager d’investir moins sur les produits de taux et plus sur les actions et l’immobilier. Mais c’est sans compter sur le paradoxe lié à Solvabilité II, cet ensemble de règles fixant le régime de solvabilité des entreprises d’assurance en Europe. La baisse des taux détériore le ratio de solvabilité des assureurs, ce qui amoindri leur capacité à acquérir des actions, au moment même où la BCE ou les politiques publiques nous poussent à en acheter.
Il reviendra donc surtout aux assurés de s’adapter à la nouvelle donne, en se diversifiant et en se tournant vers les actions et l’immobilier quand ils constituent une épargne à long terme.
Qu’envisage de faire le groupe AG2R LA MONDIALE ?
P. B. : Le groupe va poursuivre la politique prudente qu’il a initié depuis deux ou trois ans : une distribution maîtrisée des contrats en fonds euro, une rémunération ajustée aux conditions du marché et surtout un accompagnement de nos clients vers une diversification de leurs actifs pour les aider à marier prise de risque et rendement.
Les actions sont donc au cœur de la problématique…
P. B. : Oui, il faut que les ménages comprennent que le recours aux unités de comptes est devenu aujourd’hui incontournable. L’inflation est faible, mais elle n’est pas nulle. Si vous investissez 100 euros sans rendement pendant 30 ans avec une inflation à 1%, vous n’aurez plus à terme que l’équivalent de 70 euros en poche. Attention donc à bien identifier l’horizon d’investissement souhaité !
Nous sommes obsédés en France par l’idée que les actions sont volatiles. C’est vrai, à court terme les fluctuations boursières sont inévitables et sur un an, la volatilité peut être de 20%. Mais à moyen ou long terme, la volatilité est bien moindre et le taux de rendement des actions européennes est de l’ordre 5 à 7%.
Pour se constituer une bonne épargne, garantir son pouvoir d’achat, il faut arriver à dégager un rendement raisonnable sur le long terme. Se tourner vers les actions permet d’éviter le risque que l’épargne soit insuffisamment rémunérée.
La gestion pilotée par horizon que nous proposons à nos clients est là pour les aider à faire les bons choix., et à mettre en quelque sorte en pilotage automatique la gestion du risque et du rendement sur une longue période.»