Alors que la pandémie se poursuit, quelle est la vision des Français et des entreprises sur les questions relatives à la retraite et à sa réforme, sur leur épargne, sur les préoccupations liées à la dépendance ou encore sur les dispositifs en prévoyance-santé ? Comment réagissent les sociétés et les travailleurs non-salariés (TNS) face à l’imprévisibilité de l’avenir ?
Une web émission : cinq spécialistes, trois témoins
Cinq spécialistes étaient conviés à répondre à ces questions. Animée par la journaliste Wendy Bouchard, l’émission a réuni André Renaudin, directeur général d’AG2R LA MONDIALE, Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne, Jérôme Jaffré, directeur du Cecop et membre du conseil scientifique du Cercle de l’Épargne et Alain Mergier, consultant en sociologie.
Trois grands témoins ont ponctué l’émission de leurs interventions : Daniel Karyotis, directeur général de la Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes, Maël Bernier, directrice de la communication de Meilleurtaux.com et Agnès Verdier-Molinié, directrice de la fondation Ifrap.
Deux enquêtes sur les Français et les entreprises
Deux enquêtes, réalisées début septembre par l’Ifop (Institut français d’opinion publique) accompagnent cette année l’étude. L’une a été réalisée auprès d’un échantillon représentatif des Français, l’autre auprès des travailleurs non salariés et des entreprises.
Elles soulignent l’importance qu’accordent les Français à la protection sociale.
Si cette crise sanitaire a accentué l’attention qu’ils portent à leur protection et celle de leur famille, au mieux-vivre ensemble et au bien-vieillir, elle a également montré que les entreprises sont déstabilisées par cette crise exceptionnelle qui s’installe dans le temps créant par la même des incertitudes grandissantes.
Elles voient ainsi la protection sociale sous un angle nouveau et cherchent à lui accorder une place plus importante en particulier dans leurs politiques de ressources humaines. Des tendances de fond que la deuxième vague de la pandémie et que le reconfinement vont très probablement conforter.
Chiffres clés
Grand public
• Près des deux tiers des Français (65 %) estiment qu’il est opportun d’épargner pour faire face à d’éventuelles difficultés quand un tiers pensent utiliser leur épargne pour consommer.
• 41 % des sondés privilégient la liquidité en souhaitant que leur épargne soit mobilisable à tout moment.
• 32 % des Français estiment que leur pension est ou sera suffisante pour vivre correctement.
• Face à la question de la dépendance des personnes très âgées, 70 % des sondés sont favorable à la mise en place d’une couverture complémentaire.
Entreprises et TNS
• 6 entreprises ou TNS sur 10 ont une activité plus soumise aux aléas qu’avant du fait de la pandémie (95 %), de l’instabilité règlementaire et sociale (82 %) et de l’accélération des transformations du monde (64 %).
• Le système de protection sociale est aussi un sujet d’attention majeur : système actuel des retraites complexe (83%), non pérenne (76 %), absence de visibilité du futur système (75 %) et plus globalement imprévisibilité du système de protection sociale liée à des paramètres instables (78 %).
• Près de 6 individus sur 10 craignent de ne pas avoir une pension de retraite suffisante.
En conséquence, 41% des répondants accordent aujourd’hui plus d’importance qu’avant aux contrats de prévoyance.
I – Les Français et la crise
• Épargne : l’effet Covid
À l’issue de la crise sanitaire de ce printemps, 22 % des Français interrogés affirment avoir épargné « plus que d’habitude » (39 % chez les 18-24 ans). Toutefois, près de 20 % des répondants se perçoivent comme victimes économiques de cette pandémie en déclarant avoir dû épargner « moins que d’habitude ». Quelles ont été leurs motivations pour épargner durant cette période ?
La principale raison évoquée est qu’ils n’avaient « pas envie de consommer » (38 % des réponses) suivie de près par la crainte de tomber malade (13 %) et de perdre son emploi (12 %).
Les moins de 35 ans sont 40 % à souhaiter maintenir, voire augmenter, leur effort d’épargne (contre 27 % en moyenne au sein de la population), signe que la crise du coronavirus est susceptible d’impacter fortement les stratégies financières des jeunes générations.
« Les Français ont renoncé à la consommation de manière forcée. Leur épargne représente aujourd’hui 27 % du revenu disponible brut, contre 15 % jusqu’à présent. Un niveau encore jamais atteint ! »Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne
« Il faut souligner le côté merveilleusement protecteur de notre modèle social. La peur de tomber malade et la peur de perdre son emploi devraient être les premières préoccupations des Français. Or, elles arrivent en dernière position dans notre sondage sur les motivations qui poussent à épargner, sans doute en raison de l’effort exceptionnel fourni par l’État pour sécuriser les salariés en maintenant leurs salaires, à 5% près. »Jérôme Jaffré, directeur du Cecop et membre du conseil scientifique du Cercle de l’Épargne
• Une épargne pour quoi faire ?
Concernant l’utilisation de leur épargne, 41 % des sondés mettent en avant l’intention de la conserver afin qu’elle soit mobilisable à tout moment.
Maintenir ou même augmenter son effort d’épargne arrive en deuxième position (35 %) tandis qu’utiliser tout ou partie de son épargne pour faire des achats n’arrive qu’en troisième position (21 %).
Au palmarès des placements l’immobilier locatif séduit 61% des Français, devançant l’assurance-vie (48 %, en baisse de 3 points) et le placement “actions” (37 %, en recul de 8 points), tandis que le Livret A gagne 14 points. Les comptes courants sont jugés intéressants par 30 % des Français, malgré l’absence de rémunération.
« La pierre a toujours été une valeur refuge pour les Français. La baisse des taux a encouragé ce phénomène, mais cette crise l’a encore fortement accentué. »Maël Bernier, directrice de la communication de Meilleurtaux.com
• Quid du projet de réforme des retraites ?
Près de 44 % des retraités interrogés estiment disposer d’une pension de retraite suffisante pour vivre correctement, alors que 72 % des non retraités craignent le contraire.
Plusieurs mois après le déclenchement de cette crise qui a mis en sommeil le projet de réforme des retraites, seuls 19 % des Français souhaitent que le texte soit repris pour être mis en œuvre en totalité tandis que 31 % d’entre eux se déclarent favorables à un projet rectifié maintenant la mise en place du régime par points et écartant l’âge pivot à 64 ans.
« Un consensus existait dans le projet de réforme des retraites autour du principe “Un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous”. Mais la proposition de porter l’âge de départ à 64 ans est devenue un facteur de blocage. Si on enlève cette notion d’âge d’équilibre, alors la réforme devient globalement acceptable pour les Français. »
Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne
« Pour de nombreux Français, la retraite est considérée comme un droit garanti, comme si les droits à pension étaient basés sur la capitalisation. Or, ce n’est pas le cas ! Comme le dit l’article 1 de la loi Fillon, la répartition est « au cœur du pacte social qui lie les générations ». Et en répartition… on répartit. La répartition, c’est comme un gâteau familial. Les actifs achètent les ingrédients, font le gâteau et les retraités le mangent. Quant au nombre de parts, il dépend du nombre de personnes qui se mettent à table… »André Renaudin, directeur général d’AG2R LA MONDIALE
« En France, 2,4 % seulement des cotisations retraites versées concernent la retraite par capitalisation. Quand va-t-on créer des fonds de pension à la française ? Autrement dit, quand va-t-on inciter les Français à financer leur avenir au lieu de financer la dette publique ? Et pourquoi ne pas mettre en place un crédit d’impôt vraiment incitatif pour ceux qui abondent leur retraite via leur épargne ? »Agnès Verdier-Molinié, directrice de la fondation Ifrap
• Vers un contrat dépendance ?
La question de la dépendance des personnes âgées préoccupe 53 % des Français. Ce taux atteint 70 % chez les plus de 70 ans contre 57 % des 60-69 ans et 48 % des moins de 60 ans. 70 % des personnes interrogées affirment être favorables à la mise en place d’un contrat dépendance, qui devrait toutefois pouvoir être facultatif pour 53 % d’entre eux.
« Si 53 % des Français seulement se disent préoccupés par la perte d’autonomie, c’est qu’il y a une dimension psychologique à se confronter avec la dépendance. On n’a pas envie d’y penser, on n’a pas envie de s’y projeter. »
Jérôme Jaffré, directeur du Cecop et membre du conseil scientifique du Cercle de l’Épargne
« Prendre en charge la dépendance, c’est faire face au choc démographique qui va intervenir dans cinq ans, en 2025, avec l’augmentation considérable du nombre d’octogénaires. Il faut bien sûr résoudre le problème du financement de la perte d’autonomie, mais aussi faire face à un problème logistique, avec, notamment, des professions aujourd’hui mal considérées et mal payées qu’il faudra revaloriser. »
André Renaudin, directeur général d’AG2R LA MONDIALE
II – Les entreprises et la crise
L’imprévisibilité de l’activité renforce l’importance de la protection individuelle des entreprises et des TNS.
• Trois familles de risques
60 % des entreprises et des TNS interrogés se déclarent plus inquiets qu’avant quant à l’imprévisibilité de l’avenir économique de leur activité professionnelle désormais exposée à trois familles de risques :
– la crise sanitaire actuelle et ses conséquences (95 %),
– l’instabilité réglementaire et sociale (82 %),
– l’accélération des transformations du monde (64 %).
« Lorsqu’on explique que les commerçants et artisans sont les plus touchés par cette crise, on parle de leurs pertes de revenus. Mais ils rencontrent aussi un gros problème de patrimoine, car certains risquent de perdre l’épargne de toute une vie. »Daniel Karyotis, directeur général de la Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes
• Un système de protection sociale imprévisible
L’avenir du système de protection sociale apparait imprévisible pour 78 % des entreprises et des TNS, car les paramètres changent trop souvent. Par ailleurs, le système de retraite actuel est perçu comme non pérenne par 76 % et complexe par 83 % des répondants, perturbant la lisibilité de leur pension de retraite tout en renforçant la nécessité de disposer d’une protection individuelle.
À noter que si 71 % des entreprises sont favorables à la mise en œuvre de la réforme des retraites, avec pour 40 % une préférence pour l’abandon de l’âge pivot, près de 6 individus sur 10 craignent de ne pas avoir une pension de retraite suffisante. Ce taux tend à s’accroître à mesure que diminue la taille de l’entreprise.
« Les TNS se sentent plus fragilisés que les entreprises par la crise. Face à un trop-plein d’informations, ce qui leur manque le plus, c’est du conseil. »Alain Mergier, consultant en sociologie
• L’assureur, un interlocuteur privilégié
Afin de faire face à la complexité du système de retraite, les comportements diffèrent selon la taille de l’entreprise, mais l’assureur est un interlocuteur privilégié pour 54 % des TNS et des entreprises. Face à l’imprévisibilité de leur activité à laquelle s’ajoute celle de la protection sociale, les entreprises et les TNS sont 81 % à être rassurés par la pérennité de l’assureur, qui se conjugue pour 58 % des répondants à la stabilité qu’apporte sa forme juridique de société de personnes (mutuelle).
« En matière de prévoyance, l’allongement de la durée de la vie doit nous amener à raisonner en deux temps : d’une part la retraite en bonne santé, soit environ une vingtaine d’années, d’autre part, le grand âge où l’on est soumis aux aléas de la vie. »
André Renaudin, directeur général d’AG2R LA MONDIALE
• Sécuriser l’avenir
Face à ces inquiétudes, 41 % des sondés attachent aujourd’hui plus d’importance aux contrats qui sécurisent leur avenir : prévoyance, dépendance et retraite supplémentaire. Ainsi, 93 % des personnes interrogées déclarent posséder une complémentaire santé, 81 % un contrat de prévoyance et 54 % un contrat de retraite supplémentaire. La possession d’un contrat de retraite supplémentaire s’accroit pour les individus qui craignent que leur pension de retraite soit insuffisante (59 %), qui sont très inquiets de la pérennité du système de retraite (61 %) et pour les TNS (60 %).
La prévoyance apparaît pour les entreprises comme un facteur différenciant de leurs politiques RH. En effet, pour attirer et conserver les meilleurs salariés, 83 % des entreprises considèrent qu’une complémentaire santé offrant des remboursements santé élevés et des services correspondants aux attentes des collaborateurs est un argument important.
De plus, selon 81 % d’entre elles, un contrat de prévoyance permettant à leurs collaborateurs et leurs familles d’être bien protégés en cas de coup dur est un facteur déterminant tout comme le fait de proposer aux salariés un supplément de revenus à la retraite (69 %). Sur ce dernier point, ils sont cependant 57 % à considérer que les salariés préfèrent se constituer ce complément de revenus individuellement.
« Cette crise sanitaire est spéciale dans la mesure où elle touche tous les secteurs de la vie en société. L’École est impactée et avec elle la manière d’apprendre et de se former… les jeunes ont plus de mal à entrer dans la vie active. La vie sociale est bouleversée par la fermeture des espaces de rencontre. Le télétravail modifie également la vie en entreprise. Même la mort, que l’on avait tendance à gommer, revient en force dans la vie collective. Comme toutes les crises, celle-ci est un choc et on parlera sans doute plus tard d’une génération Covid. Mais cette crise peut aussi être une chance pour ceux qui sauront se réinventer et innover. »
Jérôme Jaffré, directeur du Cecop et membre du conseil scientifique du Cercle de l’Épargne
« Nous sommes entrés dans une instabilité qui semble durable, avec des crises de plus en plus rapprochées et hétérogènes qui touchent tous les domaines de la société : crise financière de 2008, crise sécuritaire du terrorisme, crise sociale des gilets jaunes, crise sanitaire du Coronavirus et pour couronner le tout, crise environnementale… Face à cette situation, le besoin de prévoyance ne peut qu’augmenter. »
Alain Mergier, consultant en sociologie
• Vers un contrat dépendance ?
En complément, 54 % des entreprises et des TNS se disent favorables à la mise en place d’un contrat de dépendance, de préférence facultatif pour 43 % d’entre eux.