Recteur d’académie, professeur de sciences économiques, Florence Legros est directrice générale d’ICN Business School. Elle est aussi membre du comité scientifique du Cercle de l’Épargne.
AMPHITÉA MAGAZINE : En faisant quoi par exemple ?
Florence Legros : Il aurait d’abord fallu être plus pédagogue. Quand j’entends encore dire que favoriser les actions, c’est mener une politique pour les riches, je pense qu’un petit cours d’économie ne ferait pas de mal aux Français !
Mais on aurait aussi pu être plus drastique pour inciter à l’épargne longue. Les allègements fiscaux sur le Livret A font plaisir aux petits épargnants, mais ils ne servent pas à grand-chose en termes de croissance économique.
Quant à l’assurance vie telle qu’elle existe aujourd’hui elle n’est pas le bon instrument pour se constituer une épargne longue. Il faudrait une vraie politique d’incitation en faveur des actions. On pourrait aussi évoquer le problème des prélèvements obligatoires qui plombent la compétitivité de notre économie.
Pourquoi ne pas dire explicitement : on limite vos prélèvements sociaux si vous faites un effort d’épargne retraite longue de manière à obtenir à terme un taux de remplacement plus élevé ?
A. M. : Si l’assurance vie est en grande partie détenue en obligations, ce n’est pas la faute des assureurs, mais plutôt des Français non ?
F. L. : Oui, ce sont les Français qui sont fâchés avec les actions. Mettons les pieds dans le plat : si nous disposions de fonds de pension et si nous avions l’habitude d’épargner sur 30 ou 40 ans, nous prendrions conscience que le risque est alors très minime. Avec des rentes indexées sur le cours des actions, les Néerlandais, par exemple, obtiennent un taux de remplacement supérieur à 100 % !
Pendant ce temps-là, en France, depuis 1993 les retraites sont désindexées par rapport aux salaires et à la croissance et on sait que le taux de remplacement est encore appelé à décroître. Cherchez l’erreur !
A. M. : Si vous pouviez donner un cours d’économie aux Français, vous leur diriez quoi ?
F. L. : Premièrement que les entreprises ne sont pas le grand Satan ! Et que c’est grâce aux actions qu’elles créent de la croissance et de l’emploi. Devenir actionnaire, c’est bénéficier des fruits de l’expansion de l’entreprise, comme on disait en 1968. Je suis toujours sidérée d’entendre dire – notamment lors du mouvement des gilets jaunes – que les actionnaires sont des riches.
Mais détenir des actions, ça ne coûte pas plus cher que de mettre son argent sur un livret A, voire de le laisser dormir sur son compte courant, puisque les Français sont champions d’Europe dans ce domaine. Mais c’est encore la lutte des classes permanente dans notre pays où l’on met toujours en avant le partage salaires/profits. Dans le même temps, on pleurniche sur le fait que 40 % de nos entreprises sont détenues par des fonds étrangers.
A. M. : Le gouvernement veut inciter les Français à sortir en rente au terme de leur contrat d’épargne retraite. Au vu de leur aversion pour la rente, pensez-vous qu’il va réussir ?
F. L. : Ce retour de la rente, c’est la meilleure nouvelle de l’année même si, oui, les Français n’aiment pas la rente. Là encore, il y a un problème de pédagogie. On peut faire tous les rapports que l’on veut sur le coût de la prise en charge de la dépendance, il n’y a qu’une chose à faire comprendre aux Français : la meilleure protection contre la dépendance, c’est la rente.
Ce sont les notaires qui m’ont convaincue de cette vérité, en m’expliquant que la rente n’est pas captable et qu’elle est versée régulièrement et automatiquement. Même si on est touché par la maladie d’Alzheimer, la rente continue de tomber régulièrement… Malheureusement les Français sous-estiment leur espérance de vie et appliquent le vieil adage « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».
A. M. : La création du PER, et l’incitation fiscale qui accompagne le transfert d’épargne vers ce nouveau produit, sont-elles une menace pour l’assurance vie ?
F. L. : Oui, clairement mais pour le produit tel qu’on le connait, pas pour les assureurs qui vont créer et vendre leurs propres PER. Il y a là pour eux une belle opportunité.
A. M. : Concernant la réforme des retraites, le gouvernement a renoncé d’une part à prendre des mesures d’économie dans le budget 2020 de la sécurité sociale et a décidé d’autre part de ne pas toucher à l’âge de départ en retraite à 62 ans. Pourtant, tout le monde sait qu’il faudra, à un moment ou à un autre, allonger la durée de cotisation. Est-ce que ce flou artistique ne risque pas de susciter à terme un rejet de la réforme ?
F. L. : Aujourd’hui, en plus de l’âge légal de départ, nous avons l’âge moyen de cessation d’activité qui est de 62 ans, l’âge moyen de liquidation des droits à la retraite qui est de 63 ans, l’âge d’acquisition des droits à taux plein qui est de 67 ans, l’âge maximum de départ à la retraite dans le privé qui est de 70 ans… qu’il y ait ainsi plusieurs âges de départ, ça ne me gêne pas.
Une chose est sûre : avec un âge moyen de sortie des études de 23 ans et 42 années de cotisation, il faut tabler sur un départ à 65 ans, sachant aussi que plus on part tard, plus on a droit à une grosse retraite.
C’est la seule vérité à faire comprendre aux Français si on ne veut pas embrouiller le message de la réforme. Le gouvernement doit clarifier son discours et dire clairement à quoi servent les incitations. Surtout, il ne faut pas laisser les gens croire qu’on pourra toujours partir à 62 ans sans cotiser plus longtemps.