Fondée sur la solidarité entre les êtres humains et entre les générations, la protection sociale désigne l’ensemble des mécanismes de prévoyance collective mis en place par la société pour permettre à ses membres de faire face aux conséquences financières des "risques sociaux". Il s’agit de situations susceptibles de compromettre la sécurité économique de l’individu ou de sa famille, en provoquant une baisse de ses ressources ou une augmentation de ses dépenses. Ces risques peuvent concerner la santé, la vieillesse et la survie, la famille, l’emploi, le logement, la pauvreté et l’exclusion sociale ou encore la dépendance. Sur 1 000 euros de dépenses publiques en France, 575 euros sont absorbés par la seule protection sociale.
Une “tradition” nationale
La France consacre un tiers de son PIB à réduire ses inégalités sociales. Attachés à cette coûteuse “tradition” nationale, les Français n’ont pas toujours conscience que cette redistribution très généreuse contribue largement à faire de leur pays le champion du monde des prélèvements obligatoires.
Mais, bien qu’exaspérés par la pression fiscale, ils n’en réclament pas moins toujours plus d’intervention de l’État lorsqu’il faut financer la prise en charge d’un risque social.
La hausse des impôts et des prélèvements sociaux a ainsi atteint 85 % en vingt ans, bien plus que la croissance d’une économie étouffée par cette habitude redistributrice.
Quant aux comptes publics, ils sont plombés par les déficits et une dette dont le montant est tellement exorbitant (2 368 milliards d’euros mi avril 2019) qu’il est difficile d’en prendre la mesure à l’échelle du budget d’une famille.
Un “pognon de dingue”
Le « pognon de dingue » évoqué par Emmanuel Macron a pu choquer les gilets jaunes et les adeptes de la pensée simpliste en économie, l’expression n’en est pas moins conforme à la réalité. Oui, la France est socialement très généreuse et trois indicateurs le prouvent.
Un, elle fait partie des pays où les inégalités de revenus sont les plus faibles.
Deux, le pourcentage de la population française qui vit sous le seuil de pauvreté est plus bas en France que dans la majorité des pays européens et il baisse depuis vingt ans.
Trois, la part du revenu national que se partagent les 1% les plus riches du pays augmente certes, mais moins vite en France que dans les autres pays développés.
Les racines du mal
Obtenus au prix fort, ces bons résultats cachent cependant un grave défaut de notre société : l’inégalité des chances, avant correction par la redistribution, est plus grande en France que chez nos voisins. Autrement dit, notre pays doit faire plus d’efforts que les autres pour réduire ses inégalités sociales.
Au lieu de s’attaquer aux racines du mal – un chômage de masse et un système de formation défaillant – les gouvernements successifs ont préféré financer toujours plus de prestations sociales. S’il crée du pouvoir d’achat et fait de la France un bon élève en matière d’inégalités sociales, l’argent ainsi redistribué manque aux investissements structurants, ce qui contribue aux difficultés rencontrées par l’économie nationale.
Un système devenu opaque
Autre “mal français”, l’édification, au fil du temps, d’un système très compliqué, opaque, que le citoyen doit financer sans en comprendre la finalité et le fonctionnement.
Pas facile, dans ces conditions d’avoir une vision objective, raisonnée et responsable et de comprendre que le budget de l’État n’est pas un puits sans fond… Imaginée à la Libération comme un prolongement logique de la démocratie politique voulue par le Conseil national de la résistance et gérée par le paritarisme,
la démocratie sociale s’appuyait en 1945 sur le credo suivant : « Chacun doit cotiser selon ses moyens et recevoir selon ses besoins ».
Mais des réformes successives, opérées en catimini, ont transformé le système initial en usine à gaz, administrée principalement par l’État Providence et à laquelle personne, aujourd’hui, ne comprend plus rien.
Des réformes s’imposent
Surtout, la société et l’économie françaises ont tellement changé depuis 75 ans, que les principes mis en œuvre pour la France de l’après-guerre ne sont plus adaptés à celle du 21e siècle.
Deux faits majeurs ont modifié la donne : d’une part, le vieillissement de la population, d’autre part, l’incapacité de la France à réduire son taux chômage comme l’ont fait la quasi totalité des pays industrialisés en Europe et dans le monde.
Or plus de vieux et trop de chômeurs, cela signifie plus de prestations sociales.
Pour pérenniser la protection sociale comme le souhaitent les Français selon une enquête Harris Interactive, il est urgent de rebâtir un système viable et transparent.
Mais pour que les réformes soient acceptées et comprises, il faut des choix politiques clairs et beaucoup de pédagogie. Quelle part de la richesse nationale sommes-nous prêts à dépenser pour notre protection sociale ? Quel effort personnel doit faire le citoyen pour préserver son avenir et celui de ses proches ? Quelles dépenses publiques doit-on accepter de réduire pour revenir à l’équilibre des comptes publics ?
Autrement dit, qui doit payer quoi ? On ne répondra pas collectivement à ces questions sans des citoyens informés, impliqués et responsabilisés.
Philippe Dabat, membre du comité de direction groupe d’AG2R LA MONDIALE
« Nous entrons dans une période où le système existant fait face à ses limites, du fait de son mode de financement, car la protection sociale est intimement liée à la richesse créée. La redéfinition d’un modèle français de solidarités suppose des choix politiques et un consensus au sein de la société française. »
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Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne
« La France a choisi de socialiser une partie des revenus, mais ce processus a un coût. Au regard des résultats économiques, il n’est pas certain que ce choix soit le meilleur. La correction des inégalités par le système de redistribution est plus facile à mettre en œuvre que la réduction des inégalités primaires qui exige de la persévérance. Le temps politique étant court, cette seconde option est souvent préférée à la première… »
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Jean-Marie Spaeth, responsable syndicaliste, membre du conseil scientifique du Cercle de l’Épargne
« On réforme, mais discrètement, sans que les Français prennent conscience des enjeux des changements entrepris et cela crée de la distance entre eux et les décideurs politiques. Or, c’est en les rendant plus acteurs, qu’on les rendra plus réceptifs aux raisons pour lesquelles on leur demande de payer ! »
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Jean-Claude Barboul, président de l’Agirc-Arrco
« Si les Français n’ont pas conscience qu’on dépense des milliards pour notre protection sociale et d’où vient cet argent, cela pose un vrai problème de démocratie ! (…)
On ne peut pas avoir une génération prédatrice au détriment de celles qui la suivront . Il faut une promesse générationnelle. La soutenabilité de notre système de protection sociale passe aussi par cette prise de conscience de tous nos concitoyens. »
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Philippe Georges, ancien inspecteur général des affaires sociales (IGAS), expert en sécurité sociale
« La dépendance va coûter très cher, c’est certain. L’un des préalables avant d’imaginer des solutions financières serait de clarifier les responsabilités pour savoir qui fait quoi.
Aujourd’hui, l’Assurance maladie finance les soins, les départements financent une partie de l’hébergement et les familles une autre partie. Cette dilution des responsabilités est l’une des causes du malaise. Mais l’État aura-t-il le courage de renationaliser cette politique ? »
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Jean-Claude Fluhr, président de l’Institut de la protection sociale européenne
« Je crois en l’Europe et je crois qu’il n’y aura pas de salut pour notre pays si nous restons franco-français. Il faut absolument faire cette Europe sociale dont on parle depuis trop longtemps, notamment en harmonisant nos politiques. »
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