Loïc Le Foll, membre du Comex en charge de l’Épargne Patrimoniale et Directeur Général de La Mondiale Europartner.
L’avis de l’expert
« Les jeunes générations comptent moins sur le système de retraite par répartition que leurs aînés et sont convaincues de la nécessité d’épargner par elles-mêmes. »
Ces changements majeurs vont avoir un impact décisif sur nos modes de vie. Mais quelles sont les conséquences sur les stratégies d’épargne des Français ? Tentative d’analyse et de prospective avec Loïc Le Foll, membre du Comex en charge de l’Épargne Patrimoniale et Directeur Général de La Mondiale Europartner.
Les bouleversements démographiques que nous venons d’évoquer vont, à terme, modifier notre rapport à l’épargne. Quelles tendances voyez-vous se dessiner à ce sujet ?
Une plus grande importance accordée à la préparation à la retraite avec bien sûr en priorité l’acquisition de la résidence principale et ensuite la constitution d’une épargne financière.
Les jeunes générations comptent moins sur le système de retraite par répartition que leurs aînés et sont convaincus de la nécessité d’épargner par eux-mêmes.
Ces bouleversements vont-ils inciter les Français à rechercher des solutions d’épargne privée comme complément de retraite et à augmenter leur épargne personnelle, par exemple pour couvrir les frais médicaux de fin de vie ?
Aujourd’hui déjà, la première motivation d’épargne en assurance-vie est la préparation à la retraite. Le succès du PERI(4) en est l’un des effets les plus notables.
Cette tendance à rechercher des solutions d’épargne privée comme complément de retraite va se poursuivre avec une diversification des classes d’actifs.
Pourraient-ils également influencer la manière dont les épargnants investissent dans l’immobilier ? Par exemple avec une hausse des demandes de logements plus petits ou adaptés aux seniors, ou encore, un regain d’investissement dans des biens locatifs afin de générer un revenu supplémentaire ?
Le vieillissement de la population va forcément entraîner la croissance du nombre d’EPHAD ou de résidences seniors mais également celle de services adaptés permettant le maintien à domicile de retraités.
La silver économie va donc fortement se développer et constituera une classe d’actifs sur laquelle investir.
Cependant, ces services ont un coût et un minimum de revenus sera nécessaire pour pouvoir en bénéficier. Ce qui contribuera à convaincre une part croissante de particuliers de réaliser un effort d’épargne supplémentaire et/ou de souscrire à des contrats de prévoyance dépendance.
Peut-on attendre un regain d’investissement pour l’immobilier de placement ?
L’appétence des investisseurs particuliers pour l’immobilier de placement n’est pas une nouveauté et constitue une classe d’actifs privilégiée (la solidité de l’immobilier, bien tangible dans l’imaginaire collectif).
Cependant, pour savoir s’il y aura un regain d’investissement, il faut attendre de voir jusqu’à quand se poursuivra la baisse des prix qui vient de débuter et jusqu’où le niveau des taux d’intérêt augmentera. Si ces deux tendances persistent, d’autres classes d’actifs pourraient être préférées à l’immobilier.
Avec moins d’héritiers et des vies plus longues, quelles évolutions peut-on attendre en matière de transmission du patrimoine ? Les dons et legs à des organisations caritatives vont-ils augmenter ?
Probablement, car cela correspond à la tendance croissante de recherche de sens pour son patrimoine, tout comme l’ESG ou encore le “crowdfunding”.
Une autre évolution pourrait être le développement du viager qui permet de céder la nu propriété de son logement contre un bouquet et une rente viagère tout en conservant son usage. C’est un bon moyen d’améliorer son pouvoir d’achat à la retraite.
Nous pourrions voir également le développement des donations démembrées aux enfants permettant de démarrer la donation en cédant la nue-propriété et en conservant l’usufruit du bien et donc des revenus à la retraite.
Peut-on s’attendre à une évolution de la gestion du risque en fonction de ce contexte changeant : soit une approche d’investissement plus risquée, cherchant des rendements plus élevés, soit une approche cherchant à protéger leur capital pour leur propre sécurité financière à long terme ?
Les deux ne sont pas incompatibles ! Un investissement en supports dynamiques permet d’aller chercher de la performance.
Puis, au fur et à mesure que l’on se rapproche de la retraite, l’on sécurise le placement.
C’est d’ailleurs ce système qui est proposé dans les produits de préparation à la retraite comme le PERI.
La hausse des taux permet également de proposer à nouveau des produits à capital garanti avec des potentiels de performance attractifs.
Ces derniers sont d’ailleurs en forte croissance aujourd’hui. Mais il ne faut pas oublier que si la hausse des taux se poursuit, nous pourrions nous retrouver dans quelques années avec un fonds en euros.
Cela offrirait, comme jusqu’au milieu des années 2010, le triptyque “sécurité-liquidité-performance” au particulier, confortant ainsi la place de l’assurance-vie comme placement préféré des français.
(1). Bilan démographique 2022, L’espérance de vie stagne en 2022 et reste inférieure à celle de 2019, Insee, 17 janvier 2023
(2). Démographie – Nombre de naissances vivantes – France métropolitaine, Insee, 26 octobre 2023
(3). Enquête sur le congé parental auprès des personnes ayant renoncé à avoir un ou d’autres enfants, Ifop pour Les Associations Familiales Catholiques, 2 octobre 2023
(4). Créé par la loi PACTE, le Plan d’Épargne Retraite Individuel (PERI) offre la possibilité de sortir en rente ou en capital. Cette liberté de choix pour la sortie s’articule avec la fiscalité qui a été retenue par les pouvoirs publics.
(5). Ensemble d’activités visant à améliorer la qualité de vie des personnes âgées, garantir leur autonomie le plus longtemps possible ou allonger leur espérance de vie.
Pas de retraite pour les inégalités de genre
L’écart de revenus à la retraite entre les hommes et les femmes s’élève aujourd’hui en moyenne à 40 %, 28 % si l’on prend en compte les pensions de réversion(1). Une différence qui ne cesse de se réduire depuis les années 1970 mais qui perdurera toujours en 2065 selon les projections de l’Institut national des études démographiques (INED).
Cette inégalité se perçoit dans l’inquiétude face à la retraite. 73 % des femmes estiment que leur pension est ou sera insuffisante pour vivre correctement alors que les hommes ne sont que 55 % à partager cette crainte(2).
Une disparité criante et multifactorielle qui démarre dès l’enfance. Cela peut sembler anecdotique, mais le versement de l’argent de poche est lui-même déjà genré. Comme le pointe l’autrice Titiou Lecoq dans son livre Le Couple et l’argent (sous-titré Pourquoi les hommes sont-ils plus riches que les femmes ?), “les garçons touchent en moyenne 4 euros d’argent de poche mensuel en plus que les filles qui, déjà, se sentent moins légitimes à réclamer plus et à négocier”.
Ensuite, les filles se dirigent bien plus que les garçons vers les filières sociales et littéraires qui conduisent à des professions moins bien rémunérées.
À titre d’exemple, les femmes ne représentent que 28,9 % des inscrits en écoles d’ingénieurs(3).
Par ailleurs, elles ont beau être plus diplômées que les hommes, elles ne représentent que 42% des cadres et des professions intellectuelles supérieures(4).
À la fin des études, les femmes partent plus tôt de chez leurs parents pour prendre leur indépendance, là où les hommes restent plus longtemps dans le cocon familial et peuvent déjà commencer à économiser(5).
Bien sûr, la retraite est avant tout le reflet des situations professionnelles passées. Or le revenu salarial des femmes est en moyenne inférieur de 22,3 %(6) à celui des hommes.
Une situation renforcée par le “syndrome de la bonne élève”, qui fait que les femmes obtiennent moins parce qu’elles demandent moins.
Les carrières incomplètes, hachées, le temps de travail réduit (près de 80 % des temps partiels concernent des femmes(7)) sont autant de facteurs qui participent à ces retraites plus frugales et qui sont majoritairement liés à la répartition genrée des tâches au sein du couple. En particulier, celle de s’occuper des enfants.
Cette division genrée des rôles se retrouve également au niveau des dépenses. Les femmes gèrent majoritairement les finances quotidiennes du foyer, comme le confirme Lucile Quillet, autrice d’un ouvrage sur le sujet : “Les femmes vont davantage investir dans l’alimentaire et le ménager tandis que les hommes vont privilégier les dépenses plus « valorisantes » telles que l’achat d’une voiture, de meubles ou d’équipements électroniques. C’est ce que j’appelle ‘Madame PQ et Monsieur Voiture’”.
Par ailleurs, les femmes gagnant moins, elles épargnent mécaniquement moins. Les détenteurs d’épargne salariale sont à 61,8 % des hommes contre 38,2 % de femmes(8). Pour l’assurance-vie, la différence est de 54,6 % contre 45,4 %(9).
Si l’écart de retraite entre hommes et femmes se joue donc tout au long de la vie, quelles perspectives d’amélioration envisager ? Une plus grande parité sur le marché du travail est essentielle, bien sûr.
Mais des dispositifs renforcés de compensation de l’impact des enfants sur les carrières pourraient participer à rééquilibrer la balance.
Certains pays comme l’Allemagne, la Suisse ou le Liechtenstein ont mis en place des dispositifs de “splitting” ou équivalents, qui permettent aux couples mariés de choisir entre la réversion et un partage égal des droits à la retraite acquis par chacun.
Mais c’est toute la société qui doit changer : un monde du travail qui s’adapte à la parentalité, des modes de garde suffisants, une éducation financière dès le jeune âge, une meilleure répartition des tâches et des dépenses au sein du couple…
Et d’ici à ce que cette inégalité se résorbe, peut-être que le « féminisme financier » (émancipation des femmes par la finance personnelle et l’investissement) permettrait aux femmes de rééquilibrer la balance ?
(1). « Les retraités et les retraites », édition 2022, DREES
(2). Enquête « Les Français, la Retraite, l’Épargne et la Dépendance », 19 octobre 2021, Cercle de l’Épargne/AMPHITÉA
(3). « Femmes et hommes, l’égalité en question », Insee Références, Édition 2022
(4). « Portrait des professions. Employés, ouvriers, cadres, artisans, agriculteurs », Insee, 22 janvier 2021
(5). 48 % des femmes de 18 à 24 ans résident encore chez leurs parents, contre 58 % des hommes du même âge.
Source : « Femmes et hommes, l’égalité en question », Insee Références, Édition 2022
(6). ibid
(7). « Emploi, chômage, revenus du travail », Édition 2020, Insee/Dares
(8). « Le prix à payer : ce que le couple hétérosexuel coûte aux femmes », Lucile Quillet, Les liens qui libèrent, 2021
(9). « Baromètre 2022 de l’épargne et de l’investissement », AMF/Audirep, cité dans « Inégalités à la retraite : 64 ans de la vie d’une femme », Le Monde, 19 janvier 2023
Idées reçues Oui, la Gen Z fait attention à ses finances !
Comment la « Gen Z », âgée de 18 à 25 ans, épargne-t-elle ? À l’heure où l’inflation pourrait gangréner sa capacité (et volonté) à ménager ses revenus, plusieurs études montrent pourtant sa forte appétence pour des finances qui roulent.
● Une étude annuelle de la fintech Klarna, menée auprès de 19 000 personnes dans 18 pays, souligne par exemple que 16 % de la population de cette tranche d’âge épargne chaque mois.
● En 2023, le Gen Z (40 %) et les Millenials (33 %) sont les deux seules générations à déclarer augmenter significativement leur épargne.
● Une autre étude, réalisée cette fois par la société bancaire Tumm, montre que plus de la moitié (57 %) de cette génération utilise des comptes épargnes – même les personnes qui ne sont pas encore sur le marché du travail.
● Toujours selon cette étude, la Gen Z est le groupe d’âge le plus susceptible de souscrire à des produits d’investissement : 51 % d’entre eux sont prêts à investir, contre 31 % en moyenne.
● Contre toute attente, la génération no-retraite est donc on ne peut plus responsable et à la recherche d’une meilleure manière de gérer son argent.